Interview Parpaings / Christophe Le Gac – François Roche / Décembre 2003
Christophe Le Gac (Parpaings) : François Roche, vous devez être heureux d’avoir pu (enfin) concrétiser une attitude (penser l’action dans un process in progress) dans une matérialité pragmatique (la construction d’une maison individuelle) ?
FR / Les projets de l’agence ont toujours été inscrit dans un processus de réalité. Il est vrai que nous avons volontairement évité jusqu’à aujourd’hui d’être asservis aux contraintes immédiates du moniteur/BTP, et à son esthétique sur commande (concours) attendue et convenue, pour a contrario favoriser une stratégie de programmation et de transformation des procédures. Mais l’agence R&Sie…, malgré ses nombreuses mutations, à toujours été formatée sur une économie de prestations. Cela surprendra peut-être ceux qui ne voyaient dans notre petite entreprise qu’un sympathique cahier de tendance. Est-ce que cette matérialité pragmatique, si je reprends votre pléonasme, crédibilise dix ans de recherches, sept associations, moult mariages et divorces, voire même quelques enterrements, une trentaine de projets radicaux non réalisés, deux dépôts de bilan, quelques inimitiés (elles seraient même légions et féroces), trois Biennales de Venise, deux ans d’absence sous les tropiques de Johannesburg, une bonne centaine de conférences sur le globe, deux enfants Gaston et Providence… NON.
Cela parle simplement du courage de deux clients, Ami Barak et Judith Misrahi Barak qui se sont lancé dans une expérience, en s’endettant sur vingt ans.
Imaginez que les opérateurs culturels comme Ami Barak, directeur du FRAC Languedoc, aient la même "schizo-politique-attitude" : participer activement à la scène artistique subventionnée par les crédits d’acquisition de l’Etat et parallèlement missionner un architecte par prêt bancaire personnalisé ! C’est autre chose que les "innombrables acteurs de la culture" qui pantouflent dans une ferme normande relookée Néotu.
CLG / Dans cette expérience avec le "temps de l’architecture" (deux ans entre la première discussion avec le client et la remise des clefs), qu’avez vous retenu au contact avec cette réalité.
FR / Deux ans c’est long, c’est bien là notre chance, car cela nous a permis de prendre le temps d’éliminer les envies et écritures superflues, … et radicaliser le projet. Cassavetes a mis trois ans pour monter, démonter, couper et remonter Shadows.
La véritable difficulté était financière, le coût plafond était d’un million cent mille francs TTC (hors honoraires), et le moindre dépassement allait rogner sur l’enveloppe plastico-topographique. Nous avions stratégiquement fait le choix de sortir ce lot du BTP pour le confier à un régisseur de la scène artistique, Christian Hubert Delisle. Sans lui et son ingéniosité à moindre coût, nous n’y serions peut être pas arrivé.
CLG / La Villa Barak est-elle une "architecture furtive" ? Sinon, comment la définiriez vous ?
FR / A la différence du camouflage qui me semble plutôt de l’ordre du style, pour un tee-shirt, une déco… la furtivité s’inscrit dans un processus d’échange, un processus réactif. Elle introduit une mécanique relationnelle, ici au territoire. Ce plissement de terrain à l’échelle improbable, cette moustiquaire, cette protection thermique (il fait très chaud l’été à Nîmes), ce fragment de paysage artificiel, s’appuient sur une dimension à la fois endémiques et exogènes.
Endémique, car ces éléments tiennent de l’économie du jardinage, de l’horticulture industrielle dans un univers agricole, car ils subissent de plus la topographie du terrain (terrasses d’oliviers et cisaillement du volume sur un mur existant).
Exogènes, car ils s’assimilent à un corps étrange(r), dans une absence de signes architecturaux, de signes référentiels, car ils semblent tout droit sortis d’une incrustation numérique, incestueuse d’irréalité… Un objet non-standart, pour reprendre l’expression de Frédéric Migayrou.
Cette ambiguïté nous intéresse, à l’image du F117 (avion furtif US)? C’était même le fil d’Ariane qui a conditionné de nombreuses décisions. Nous voulions générer un objet critique, non référençable et donc non consommable. Nos computer nous ont permis l’élaboration d’une forme "non dessinée", résultante d’un mouvement de sol aléatoire sur la fracture topographique du terrain. Ils ont de plus générés des vides, comme une suite de lieux interstitiels à coloniser, d’espaces en devenir (terrasse et serre…), dans une stratégie de l’inachèvement…
Pour en finir avec la furtivité, mais d’un point de vue strictement réglementaire, nous avons dû déposer un permis sous contrôle des Bâtiment de France, la maison étant en effet à l’intérieur d’un rayon de cinq cent mètres autour du château médiéval de Sommières. Le fait que ce projet puise sa topologie de la morphologie du terrain a du séduire l’architecte des Bâtiments de France, ou seconde hypothèse, ce "machin vert" s’est infiltré dans un "trou" noir réglementaire : comme une rencontre du troisième type paradoxale, ni avant-garde autiste, ni patrimoine poisseux…
CLG / Avec ce nouveau point de départ, quelles sont les perspectives de l’agence ?
FR / Elles n’ont pas changé, si ce n’est un réajustement structurel, pour mieux correspondre à cette gestion du temps dont vous parlez.
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Notice descriptive
Maison Barak à Sommieres
Client
: Ami Barak (Directeur du Frac Languedoc Roussillon) et Judith Misrahi Barak
Maison individuelle de 165 m² habitable et 70 m² sous cannisses plastiques.
Architecte : R&Sie…/ Sarl d’Architecture, François Roche / Stéphanie Lavaux
avec Alexandre Boulin, Olivier Legrand
BET : Roland Durupt BET généraliste, ABACA BET Structure
Entreprise GO : SKMG
Micro Entreprise pour la Toile : Christian Hubert Delisle (toile)
Contraintes :
- Terrain soumis à la protection du patrimoine architectural et urbain (château médiéval à proximité)
- Terrain de 1500 m² avec obligation de construire au centre de celui-ci
(distance aux limites de propriété) sur un dénivelé vertical de 4,5 m (muret de culture d’olivier)
- Nécessité climatique (arrière pays Nîmois particulièrement chaud l’été)
- Coût de la maison 1,1 MF TTC, coût construction
- Difficile accessibilité du terrain
Programme :
- Une SHON de 165 m2
- Une SHOB utile de 235 m2
- Une habitation de 7 pièces
Système constructif :
- Chantier traditionnel (parpaings et hourdis) pour le squelette intérieur avec des petites entreprises locales.
- Chantier spécifique pour l’enveloppe de plastique réalisé avec un régisseur spécialisé dans la production d’œuvres artistiques, (coût et ingéniosité de savoir faire). Cette toile est constituée de résille plastique Emis (destiné aux serres agricoles des pays chaud) sur ossatures métalliques haubanées, avec l’ensemble des accastillages en PVC.
- Principe de chauffage par géothermie de surface (tuyaux enterrés) comme l’exploitation objective du terrain.
Scénario :
- une géographie qui se déplie et se cisaille sur la cassure topographique du terrain
- une tente climatique qui alterne espace clos et lieux sous résilles de toile
- une principe de furtivité face au château de Sommières
- une maison pour une famille de 4 personnes
- une végétation couvre sol dans la continuité de la toile.