(>>>>>>>English version following)
Strategies grises
Une écriture pliée et repliée à partir de « L’esclave maître » de Dominique Quessada, Vertical, 2002
Un texte, caché entre les pages d'un passeport Français carbonisé pour mieux dissimuler une parole suspecte : une parole qui dissèque méchamment la chair de la singularité de celle de la meute, entre « l’» architecte et « les » architectes, entre deux profils, deux types morpho-psychologiques qui ne cessent de négocier leur propre survie, leur propre précarité, sorte de frère siamois d'un algorithme noué : 1&2, 1+2, 1/2 = « l’» + « les » = ...
1) « l’» architecte est celui qui, va tenter de faire émerger une stratégie esthétique, au creux des complexités d’une société afin d’en révéler les palpitations, même contradictoires. « l’» architecte prend seul le risque de l’émission d’un scénario inédit, générant ainsi une configuration particulière et singulière. Ni auréolée de Don Quichottisme, ni drapée de romantisme, cette attitude n’émerge qu’au travers d’une prise de risque individuel. On ne peut que lui en faire crédit.
2) A l’opposée, « les » architectes par nature grégaires, inféodés à un mode corporatiste, ne peuvent émettre d’idées, d’hypothèses que si celles-ci ont été préalablement validées par leur milieu professionnel.
Asservis à ce mode de consommation/diffusion, ils se déplacent en meute, pour mieux diluer leurs propres culpabilités de prédateurs.
Ne pouvant revendiquer publiquement leur collaborationnisme direct aux mécanismes dominants, bien qu’ils en soient les principaux vecteurs, « les » architectes l’habillent de convulsions nombrilistes, de rebellions feintes, d’asservissements plaintifs, d’émancipations sociales et d’envolées lyriques. Par là même, ils en masquent les malversations quotidiennes, les arrangements de salon et leur laideur : « Carnaval des activismes » en Prime Time et modes opératoires dans les boudoirs insonorisés.
« les » architectes corrompent les discours, manipulent les concours, la morale leur sert de porte étendard, et les responsabilités sociales de gri-gri ou d’agit-prop. Ils vivent et transpirent la profonde hypocrisie de la nature humaine, ils en sont consubstantiels. L’espace est leur terrain de jeux, leur levier de contrôle, de coercition.
La modernité libérale avait besoin d’un profil morpho-psychologique qui transcende son aliénation pour mieux la faire subir aux autres, aux innombrables, à ceux qui ne savent pas.
Nous y sommes…là…là même…au creux…mais pas seulement…
« les » architectes sont aussi ceux qui métabolisent la nouveauté irréductible de « l’ » architecte pour l’ensemble de la société, fût-ce au prix d’une annulation pure et simple de la nouveauté en question. Ainsi l’architecture est-elle engagée dans un double processus où « les » architectes participent collectivement à l’obscurcissement et à ce que l’on pourrait appeler l’oubli de soi de l’architecture, alors que « l’ » architecte construit l’architecture individuellement en traçant des idées…mais ne pouvant que rarement les faire émerger dans les strates du réel.
Il existe donc une véritable lutte entre celui qui crée et ceux qui vectorisent, voir copient. Ces derniers suturent la nouveauté parce qu’elle est socialement non métabolisable à l’état brut. Cette nouveauté, cette étrangeté de la chose inédite est inassimilable directement parce que celle-ci n’est pas de l’ordre de ce qui se consomme aisément. Copier, c’est alors le rôle des « rivaux », des « prétendants », ceux qui se disent aussi l’ami de celui qui émet la chose inédite, ceux qui se disent ami de « l’ » architecte ; à ceci près qu’en dehors du cannibalisme qu’ils opèrent, le contenu n’est véhiculé que très superficiellement. Les imitateurs fabriquent alors une copie qui bouche la fissure de ce que cette chose avait provoquée. Cette activité imitative compose avec le politique, ce que la chose inédite construit contre lui.
Il existe donc deux versants de l’activité touchant à la création ; celui qui consiste à créer la chose et celui qui consiste à l’absorber, la répliquer sommairement ou maladroitement pour mieux la sociabiliser dans un univers de post-consommation.
« l’ » architecte se trouve au centre du temps de l’architecture, en temps réel, et « les » architectes au cœur de son histoire, en temps différé. Ce que l’on nomme l’histoire de l’architecture est donc en fait une histoire de ce temps différé de l’architecture.
C’est parce qu’elles ont été transformées en marchandises, que les choses inédites reformatées en produits peuvent être utilisées, annulées, employées, socialisées, détournées ou apprivoisées, en tout cas manipulés – par le media-capitalisme notamment.
On peut ainsi supposer à l’architecture deux pulsions antagonistes : l’une critique qui émet ces choses sans pouvoir toujours les construire et l’autre collaborationniste qui se profile et se conjugue avec les forces techno structurelles, politiques et administratives.
Toujours située entre résistance et collaboration l’architecture possède ainsi deux faces complémentaires, alimentant dans la lutte permanente qu’elles entretiennent, son mouvement et son déplacement dans le temps et l’espace à la manière d’un crabe sur la plage (en zig zag).
On peut donc comprendre la fonction imitative, fonction profondément ancrée dans l’histoire de l’architecture, des traités, des revues, des enseignements et des modes de transmissions et l’admettre (faut-il encore l'identifier là ou elle apparait) comme un mal nécessaire, mieux comme l’envers de la pièce de monnaie, qui n’aurait pas de valeur sans sa présence.
La fonction imitative nourrit l’imitateur, parfois grassement mais plus profondément elle entretient avec l’original, la chose inédite une relation de dépendance qui va permettre de lui attribuer un statut : celui justement de l’origine. Et c’est là que s’opère le transfert, la transaction sans laquelle ni l’un, ni l’autre ne peuvent prétendre exister.
L'ambiguité viendrait plutôt du manque de transparence, de visibilité de ce système d'échange, qui n'a de véritablement incestueux que l'assimilation de ces icones citationnelles à des choses inédites...alors qu'elle n'en sont que les effets collatéraux...
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Grey strategies (>>>>>>> French Version)
A piece – folded and refolded – after Dominique Quessada’s L’esclave maître (Vertical, 2002).
A text hidden between the pages of a burned French passport, all the better to hide the suspicious words, nastily cutting the flesh of a singularity from that of the pack, separating the architect and architects, two profiles, two morpho-psychological categories, that ceaselessly negotiate their own shaky survival, the Siamese twins of a fertile algorithm: 1&2, 1+2, 1/2 = “t” + “s” = ...
1) The architect is someone who tries to bring out an aesthetic strategy from within the complexities of a society in order to reveal its heartbeat, even if contradictory. The architect shoulders the unshared risk of putting out an unprecedented scenario, thus generating a particular and unique configuration. Wearing neither the halo of a Don Quixote nor the mantle of romanticism, this attitude only emerges after sticking his neck all the way out. You have to give him credit for that.
2) In contrast, architects are gregarious by nature, staunchly corporatist, and incapable of putting out ideas and hypotheses that haven’t been previously validated by their professional environment.
Enslaved by this mode of consumption and distribution, they travel in packs so as to assuage the guilt they feel as predators.
Since they can’t publicly admit their direct collaboration with the dominant mechanisms, even though they are the latter’s main vectors, architects dress it up with navel-gazing convulsions, fictitious rebellions, whiny subjugation, social emancipations and flights of lyricism. They mask their daily malversation, their cosy arrangements and their ugliness in the same way, with a “Carnival of the Activists” broadcast in prime time and operational modes in soundproofed boudoirs.
Architects corrupt discourse, manipulate competition, make morality their banner and social responsibilities into an amulet or agit-prop. They live and breathe the profound hypocrisy of human nature, with which they are consubstantial. Space is their playground, their control and coercion lever.
Liberal modernity needed a morpho-psychological profile that transcends their alienation to make others – the innumerable – submit to those who know nothing.
We’re there... there... right there... inside... but not only...
Architects are also those who metabolize the irreducible novelty of the architect for society as a whole, even if that means the annulment pure and simple of the novelty in question. Thus architecture undergoes a two-fold process where the architect builds architecture individually by tracing ideas, while only rarely able to make them emerge in the strata of the real.
There is a real struggle between the creator and those who vectorize or even copy. The latter sew up the new because it is socially non-metabolizable in its raw form. Novelty, the strangeness of things never seen before, is not directly assimilable because it can’t be comfortably consumed. Copying is the role of the “rivals,” the “pretenders”, those who claim to be friends of the person who puts out things never seen before, those who claim to be friends of the architect, except that aside from the cannibalism they practice, the content is conveyed very superficially at best. In short, the imitators come up with a copy that plugs the fissure opened up by things never seen before.
Thus there are two kinds of creative activity, creating new things and absorbing them, summarily or maladroitly replicating them, in order to socialize them in a post-consumption universe.
The architect works right in the centre of architectural time, in real time, while architects work in the heart of its history, in delayed time. Thus what is called the history of architecture is really a history of this differed time in architecture.
It is because they have been transformed into commodities that new things can be reformatted as products and utilized, annulled, employed, socialized, hijacked, tamed and in general manipulated, especially by media capitalism.
We can assume that there are two antagonistic impulses in architecture, one critical, putting forward things without always being able to build them, and the other collaborationist, appearing and working with the powers that be, the administration and its techno-structural forces.
Torn eternally between resistance and collaboration, architecture has two complementary aspects whose constant struggle drives its zigzag, crabwalk movement in space and time.
Thus we can understand its imitative function, deeply rooted in the history of architecture, its treatises, reviews, education and modes of transmission, and recognize it as a necessary evil, or, more precisely, as the other side of the coin which would have no value without it.
The imitative function feeds the imitator, sometimes all too well, but more profoundly its relationship with new things is one of dependence, which allows the former to confer a status upon the latter, that of the original in fact. This is the transfer mechanism, the transaction, without which neither could seek to exist.
Ambiguity would come rather from the lack of transparency, of visibility of this system of exchange, which is incestuous only in the assimilation of these mimetic icons to new things… whereas they are only their collateral effects…
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