Interview en août 2004 / par Archicool / Jérôme Auzolle / en ligne sur http://www.archicool.com
Post-scriptum : Suite à cet article et au passage épinglant le trio Barré/Nouvel/Fillion, ce même triumvirat vient de refiler le mur de la honte (l'enceinte de la condition ouvrière chez Renault) au trio Maupin/Poitevin/Sans pour bien justifier que certaines jeunes équipes "sous contrôles" peuvent tout aussi collaborer à un montage intellectuel des plus vulgaires... çà nous le savions déjà...
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"Kiss the frog"
J.A : Quel est votre parcours ?
R&Sie : Le parcours
?
J.A : c’est une façon de demander aux gens
de se définir....
R&Sie : C’est un
peu....., dit moi d’où tu parles, de quel territoire émets tu ce discours afin
que d’en valider le contenu, ou plutôt de quel territoire te permets tu
d’émettre ce discours ? De quel parcours va tu te justifier pour inscrire ton
autorité ? Et donc asseoir la légitimation de tes compétences… le terrain semble
miné.
Non seulement je me méfie de ces modes prévisibles, mais je ferraille contre ceux qui les portent, ceux qui les incarnent. L’architecte, l’urbaniste est au creux de ce faux semblant… Un diplôme auto justifierait une revendication professionnelle, une compétence, mieux il légitimerait un droit, un pouvoir cannibale sur ceux qui ne l’ont pas !... j’en doute ...
“ il faut porter attention aux œuvres, non aux auteurs.” Dixit Godard.
Cette inclination m’intéressent, non la vocation précoce de l’auteur, ses premiers jeux de cubes, ses états d’âmes adolescents puis son diplôme, sa souffrance, son ego, ses premiers réseaux de pouvoir, ses convulsions, puis bien évidemment ses petits arrangements avec notre monarchie républicaine pour valider ce qui n’aurait pas du être, pour masquer son impuissance et se repaître paradoxalement de sa capacité de nuisance… non définitivement :
“ Il faut porter attention aux œuvres, non aux auteurs.”
JA : Pour vous le parcours c’est une fausse
notion ?
R&Sie : ...Il y a un
mouvement en train de se faire... c’est un mouvement en train de se faire.
Deleuze ....[ inaudible], le baroque ou la mort du mouvement en train de se
faire.
L’agence R&Sie développe des outils, des
procédures, des amitiés « en train de se faire », conditionné par des modes
d’incertitudes, c’est un épanchement d’incertitudes. J’ai travaillé la plupart
du temps avec des associés qui n’étaient pas et ne sont pas des architectes, qui
ne se revendiquent pas comme architecte, voir même qui vomissent l’architecture
telle qu’elle est pratiquée en France, ou les mécanismes de domination,
d’autorité, de professionnalisme d’apparat, se conjugue avec les servilités
quotidiennes qui les sous tendent et les alimentent.
JA: SI il n’y a pas de parcours, qu’il y a
t’il ?
R&Sie : ....Un vecteur économique,
une dimension économique, on ne peut répondre à cette question qu’en rendant
compte des choix qui conditionnent l’affrontement à une économie dominante, donc
une pensée dominante. Une agence d’architecture, c’est une structure économique,
qui vend de la prestation, de la prestation intellectuelle. Elle négocie sur ce
mode d’échange. J’aime cette objectivisation. C’est même au creux de cette
dimension que l’on peut questionner la notion d’authorship. Une agence
d’architecture vend de l’intelligence, supporte une position critique, rend
visible un état d’instabilité....
En déplaise à nombres architectes, une agence d’architecture ne vend pas des matériaux de constructions, une agence d’architecture n’est pas une succursale de Batimat…
Revenons en arrière, comme un flash back, au moment ou la revue le Moniteur à été crée. Si nous parlions des appels d’offres et appels à concurrences montés de toutes pièces, non pour faire émerger l’idée la plus innovante, mais pour associer développement de ville moyenne et accessoirisation industrielle du bâtiment, pour vendre du matériaux de construction sous prétexte de joutes intellectuelles. Si nous parlions de cet accord de complaisance, cet alibi de montage démocratique qu’est le concours d’architecture, montées entre grandes entreprises du BTP et politiques RPR/PC afin de rendre toute une profession otage d’un journal professionnel, d’un code des marchés public. On comprendrait pourquoi le Moniteur a été crée, pourquoi un concours en France n’est qu’un habillage, qui tente de dissimuler la corruption passive ou active de ceux qui s’en repaissent.
Il est étonnant néanmoins qu’il ait été
aussi aisé d’asservir la génération des barricades (mai 68), les baby-boomers
égotiques, pour leur faire vendre des matériaux. Il fallait des « créateurs »
pour en justifier la plus value culturelle, pour en produire la vitrine et en
anoblir le mécanisme. C’était l’époque ou l’on cannibalisait les villes
moyennes, les villes rouges, pour refiler des plans d’urbanisme abscons, sous
des prétextes d’émancipation des masses, d’attention sociale, c’était l’époque
ou les concours servaient , comme aujourd’hui d’ailleurs, de vecteurs de
diffusions des produits issus de l’industrie du bâtiment. Quelques alibis
artistiques, une faconde politique et le tour était joué. On vendait tous des
matériaux et on était heureux, on roulait en Ferrari, et on était heureux. JN et
Odile Fillion, au creux du système médiatique vendait des concepts BATIMAT, par
Moniteur interposé. L’un était l’agent blanchissant, la vitrine de ce système,
l’autre son alibi critique. Le monde était beau, Stark pérorait et l’avenir de
la consommation… radieux.
JN était utilisé à l’insu de son plein gré pour masquer le montage de l’affaire… pour masquer le montage de l’arrangement ; Les architectes devaient vendre des matériaux et le Moniteur en était le rouage.
JA: Il est, ou, il était ?
R&Sie : Ah !!! Je parle de sa
meilleure période, Je parle de la période ou il était en phase avec la Société
de marketing, de promotion individuelle, d’égotisme maladif, une société qui ne
portait pas attention aux modes relationnels, ou la pensée conceptuelle elle,
se développait comme du papier peint. Dans Te(e)n years after, j’y ajoute une
louche “ Ils allaient anoblir ce que l’académisme beaux arts n’avait pas réussi
à légitimer : la répétition savante des formes déjà consommées comme processus
de création et renvoyer toute pensée conceptuelle à un simple opportunisme
citationnel.”
Prenons par exemple le palais de Justice de Nantes de JN … juste un exemple évidemment. Ce n’est pas de l’acharnement thérapeutique. Une référence avouée, la Kunsthalle de Mies Van der Rohe à Berlin, un sophisme conceptuel douteux : Mies représenterait l’ordre / La justice, la mesure, l’équilibre / Si donc j’ai a construire cette mesure / J’assume culturellement de « remixer » la Kunsthalle. Et la boucle est bouclée !
Mies devient un alibi de consommation qui permet à l’auteur d’économiser son investissement, au maire de Nantes, de justifier qu’il achète une Icône pré-inscrite dans l’histoire de la media culture et permet aux industriels de vendre des matériaux.
On ne peut pas ne pas porter attention à la
manière dont les choses sont émises aujourd’hui ; dans quelle condition, avec
quels mécanismes, qui prend la parole ? Dans quelle structure, avec quelle
autorité présupposée.
Pour citer Lyotard : « Le capitalisme est a peu près indifférent aux contenus des récits dont il autorise la circulation. Le récit monnaie est son récit canonique parce qu’il rassemble les deux propriétés : il raconte qu’on peut raconter n’importe quoi, mais que le bénéfice des récits doit revenir à leur auteur ».
Impossible de se satisfaire, voir même de prolonger la propagande officielle qui ferait croire que l’architecte participe à la transformation de la ville, dans un développement raisonné voir durable !
Pure hypocrisie bien évidemment,
qui tendrait à justifier qu’il suffit de sampler, de remixer, de remastoriser
des formes admises, des formes empruntées pour en faciliter l’accès
communicationnel et la consommation.
JA : Séduire pour exister, C’est une
logique de soumission non ?
R&Sie : Bien évidemment, je vous
renvoie à Zizek (Slavaj Zizek) Dans l’ouvrage intitulé “le spectre rôde
toujours.” (qu’il ouvre et lit) : « Le meilleur moyen de s’en rendre compte est
de se référer à la distinction entre le fou et le fripon. Le fou est un simple
d’esprit, un bouffon de cour, un petit marquis, à qui l’on permet de dire la
vérité précisément dans la mesure où son discours n’est pas porteur de pouvoir
[performatif.] »
Le fou c’est celui qui dit la vérité mais
qui n’a aucun levier de transformation de la société, aucun levier de pouvoir,
et qui se complait dans cette inactivité critique.
« Quand au fripon, c’est un
cynique qui dit ouvertement la vérité, un escrocs qui tente de faire passer la
malhonnêteté pour de l’honnêteté, un vaurien qui reconnaît la nécessité de la
réflexion illégitime afin de maintenir la stabilité de l’ordre social. Le fripon
est bien évidemment le défenseur le néo conservateur du marché libre, qui
rejette avec cruauté tout forme de solidarité sociale comme une forme de
sentimentalisme contre productif, alors que le fou est celui qui choisit une
position critique à partir de points de vue sociaux, radicaux ..etc etc »
Un architecte doit aujourd’hui essayer
d’éviter ces deux attitudes prévisibles. Ni fou, ni fripon.
JA : “Prévisibles,” comment ne pas être
prévisible ?
R&Sie : De
regarder la beauté et de l’injurier ? pour reprendre ce mot de Rimbaud:
“d’injurier la beauté”. Rire…
Il nous faut choisir la couleur des pilules, Bleu ou rouge, rouge ou bleu comme Neo (Matrix) : accepter une réalité factice, illusoire et confortable, ou plonger dans la crasse, inconfortable et humaine, imprévisible.
Comment dans ces conditions participer à ces concours dont on sait pertinemment qu’il ne fonctionne que par cooptations professionnelles.
Ne pas être prévisible, c’est simplement éviter de prendre les chemins balisés, ou chaque pas éloigne, distend la réalité pour finir par ne la percevoir qu’au travers du filtre déformant d’un discours professionnel, d’un discours d’autorité. Ne pas être prévisible s’est se méfier du statut d’auteur, s’est se méfier des pensées dominantes, des soirées pinces fesses corporatistes, des breloques et des honneurs.
Ne pas être prévisible, c’est se méfier de son ego, c’est suspecter qu’il fonctionne comme un vecteur d’aliénation.
Ne pas être prévisible, c’est
aussi se méfier des outils de prédictions, des outils qui planifient, c’est
refuser de produire l’illustration d’une planification urbaine, afin que
politique et architecte, sur un bateau ivre de pouvoir, simule voir dans le
brouillard, simule la cohérence d’un développement, de peur qu’il deviennent un
débat public, de peur que ces choix de développement, il faille les construire
et les partager avec ceux qui ne savent pas, les ignorants, les innombrables,
les citoyens.
Comment éviter de questionner la notion de temps, de temporalité, la notion du
“Ici et maintenant.” Nous ne sommes plus
les pourvoyeurs d’un passé ou d’un futur meilleur, auréolé de prédictions naïves
et simplistes. Nous ne pouvons plus nous revêtir de cette fonction sociale
d’anticipation qui alterne non sans ambiguïtés, régression passéiste et
projection futuriste. Il nous faut négocier avec un temps présent, avec un corps
palpitant et incertain, dans l’indétermination des mécanismes, des discours et
des modes de production.
Il nous plait de vivre cette
contingence de l’immédiateté. Il nous plait de porter attention à tout ce qui
paraît normalisé, justifié, légitime, dont les montages symboliques et
structurelles, afin d’en questionner les préambules, afin de s’attacher aux
modes relationnels et non à leur représentation, afin de générer une attitude
critique. L’architecture est un des « outils » qui rend compte de la complexité
d’une société, de sa capacité à rendre visible sa sophistication, voir ses
contradictions.
JA : Génération : Qu’est devenue la
génération de votre tranche d’âge ? c’est un désert.
R&Sie : Les mécanismes sont des
rouleaux compresseurs, cycliques et répétitifs. Tant que les AJA seront choisi
par un jury complaisant, tant que les jeunes architectes seront flattés de
l’être… flattés. Tant que les baby boomers instrumentaliseront toutes
générations suivantes pour leur voler leur jeunesse, effet yaourt rajeunissant,
tant que ces mêmes baby boomers ne valideront, ne coopteront que des petits
professionnels serviles qui ne puissent remettre en cause la puissance de leur
« créativité conceptuelle», tant que…tant que… la liste est trop longue. Un
véritable bottin de malversations en tout genre, drapées d’impunité et de
fausses pudeurs.
JA: Ce sont des fins de cycle, ils
arrivent sur la fin.
R&Sie : J’ai vu Jean Nouvel avec
Odile Fillion et François Barré détruire trois générations, trois générations de
jeunes architectes, les cannibalisant, les caressant, les étouffant, père et
mère castrateurs, Barbe Bleue sous les habits du chaperon rouge. Nous avons
survécu, mais blessé, à l’économie fragile, et exclusivement hors de France.
JA : Ils l’auraient fait sciemment ?
R&Sie : Ah oui..
magnifique, magnifique, La Pompadour dans ses cuisines , étranglant ses
poussins, pour éviter toute émergence fragilisant la stature du commandeur. Rien
ne peut émerger, rien ne doit émerger, il faudra attendre péniblement le dernier
jour, pour que la machine s’enraille… ils ont la peau dure, les
carnassiers…(rires)
N’oublions pas que ces mêmes carnassiers, dans leur stratégie de standardisation
des modes de pensées et de construction de l’architecture ont réussi à éliminer
tous les grands pères radicaux, les Yona
Friedman, Claude Parent, et autres Giap incontrôlable [....] , renvoyant leur
travaux à de simple joutes esthétiques, à de simples postures de dandy,
neo-bourgeois, alors que eux, mao et stalinien, Portzamparc en tête de file,
allait émanciper la ville, le citoyen, ma grand-mère et son chien.
Heureusement que quelques uns, peu nombreux, comme
Frédéric Migayrou, et Marie Ange Brayer
se sont attelé à un travail de mémoire. La
réhabilitation des Grands Pères radicaux sévissant sur le territoire Français
dans les années 60 est aujourd’hui internationale. Claude Parent à la “Columbia”
fait salle comble. Le lien n’est pas rompu avec les inventeurs, avec la parole
libre. Il suffit de l’accepter pour être déniaisé.
Je me souviens, étudiant à l’école de Versailles, de l’impossibilité de dénicher dans la bibliothèque des ouvrages sur cette époque. Les rayonnages faisant la part belle à la modernité, jusque dans les années 50 puis à la post modernité (d’après 74) ...mais entre les deux un trou noir, une super nova qui avait atomisé le linéaire correspondant, une censure bien évidemment. La recherche, le risque avaient été éliminés de l’histoire et de son corollaire pédagogique.
Il a fallu, moi comme d’autres, aller
rechercher, non pas dans les pages introuvables des collectors, mais en
rencontrant directement les êtres, Peter Cook à Londres, Yona Friedman et Claude
Parent à Paris, pour comprendre pourquoi ils ont refusé de négocier avec cette
post-modernité et à partir de quel moment ils se sont retrouvés totalement
éjectés du système productif mais aussi historique.
Ma génération, coupé de ces tranches de vies, parfois tragiques n’a rien vu venir. Nous étions nés dans les paillettes des années 80, « 40 architectes de moins de 40 ans » pour reprendre l’exposition qui caractérise ma génération prêt à se vendre au plus offrant, prêt à roucouler de plaisir et de suffisance à la moindre Biennale. Mais cela a-t-il réellement changé ?
J’avais écrit un texte dans Beaux-Arts Mag, une revue simplette, certes, mais qui a le mérite d’être largement diffusée, un article violent contre les pratiques de François Barré, alors directeur de l’architecture. Crime de lèse majesté, comment ose t’on déjouer les manipulations du plus grands commis de l’état, amis des artistes et des architectes ! Le journal avait failli passer au pilon, puis finalement était sorti. C’était en 90, et j’égratignais les modes d’asservissements, les prix de toutes sortes, les breloques en tout genre, de l’équerre d’argent à la rosette, du prix de l’architecture national, régional, municipal, de palier, de voisinage.... on n’en finit pas de s’auto congratuler pour arborer sa suffisance, petits fils et filles d’une république monarchique... faut-il encore en comprendre les mécanismes qui les sous tendent, et les modes de pouvoir qui les génèrent.
Je pense que ma génération a dans son ensemble omis de porter attention et de questionner ces jeux de crécelles. IL faut avouer que le « méchant » avançait masqué. Comment, à l’époque ne pas céder aux avances de l’AFAA, et de l’ensemble des institutions culturelles qui dans la continuité de la politique de J. Lang, validait toute production, à condition que l’auteur assume de porter haut et fort le drapeau tricolore, endosse le rôle d’ambassadeur des prétentions nationales. Nul à l’étranger n’acceptait de nous écouter, nul ne portait attention aux recherches entreprises ici, nous étions perçu non comme des individus libres de penser et d’agir, mais comme une multitude grégaire, inféodés à un système de caste, nationaliste.
L’exposition « Prémisse » à N.
York en 98 en a été le feu d’artifice, le bouquet final, aux confins de la
Vulgarité…
A contrario, je me souviens de notre première exposition et conférence aux Etat-Unis, au PS1, en 1993. Avec Stéphanie Lavaux nous n’avions pas d’autres choix que ne nier notre propre nationalité pour nous revendiquer, non sans humour, jamaïcains … (rires)
Nous n’étions pas particulièrement porté sur le Rastafarisme. Mais accepter d’être ou de faire partie d’une minorité nous semblait plus plausible pour développer une stratégie d’infiltration, de contamination.
Nous y retournons en septembre 04, pour une série de conférence à la Columbia, Harvard et au MIT, cette fois ci débarrassé de ces jeux adolescents, en assumant une culture qui nous est propre, ni plus, ni moins.
Il faut dire que la culture française a
noué ces dernières années des liens très étroits, très ambiguës, entre
« préférence nationale » et « exception culturelle ». Ces notions sont
incestueusement siamoises. Pour ces raisons, j’ai refusé l’année dernière de
porter la scénographe du pavillon Français à la Biennale de Venise. Ma, notre
démission était politique. Le Pen paradait au deuxième tour à cette époque…
../..
JA : Les NAJA par exemple ?
R&Sie : .... On sait
bien qu’il n’y a aucune politique pour aider les jeunes architectes en France,
qu’il n’y a aucune volonté... C’est un simulacre d’autant plus médiatisé qu’il
ne débouche que sur du vide.
JA: Quels conseils donner à un jeune
architecte aujourd’hui ?
R&Sie : D’aller voir
ailleurs ... mieux, de se confronter à l’en dehors, quitter la France, ce n’est
pas un pays qui émet de l’architecture mais sa représentation.
Prenons cet exemple historique :
Lorsque Le Bernin, débarque à Paris invité par Louis le Quatorzième, monarque de
fonction, pour la réalisation d’une partie du Louvre : Première
proposition; magnifique hypothèse baroque, architecture libre si il en est,
façade qui n’en est pas une, creusée et à la fois boursouflée, concave et
convexe, et complexe, une proposition que l’on pourrait presque revendiquer
aujourd’hui....., pas simplement un bossage renaissance, mais son reflet,
ondoyant... En embuscade, l’un des premiers commis de l’état, Colbert, qui
rechigne, qui trépigne, qui ne trouve pas le projet à son goût, et qui va se
servir de sa position de consultant de sa majesté pour disqualifier le projet,
trop cher, trop courbe, trop de notes, non çà c’est la critique à Mozart, trop,
c’en est trop. Il conseille donc à Louis le bien nommé de rappeler Le Bernin
mais pour un deuxième projet, un deuxième projet beaucoup moins cher et plus
classique si ce mot a un sens. L’architecte baroque qui cherche du travail,
s’exécute. Mais Colbert toujours commis de l’état, et toujours en embuscade,
comprenant qu’il pouvait à loisir abuser de son pouvoir lui demande une nouvelle
fois de revoir sa copie.
Et Le Bernin revient, merveilleuse histoire
que cette histoire, avec un troisième projet, un projet qui n’a plus d’autre
intérêt que d’être une façade, totalement plate, décevante. Colbert jubile, et
pose cette ultime question à son monarque: « Mon très cher Louis le beau, ne
voyez vous pas quelques incohérences à inviter cet italien, alors qu’il se renie
lui-même, et qu’il nous propose une façade que nos hommes de l’art ici bas
peuvent exécuter par eux même ».
Le piège s’est refermé, la fonction du commis de l’état était inventée, il ne lui restait qu’à l’appliquer à la lettre à toute époque.
Comment ne pas relire les cénotaphes des derniers présidents accompagnés des commis Belmont/Barré à la lumière de cette fable.
C’est une récurrence dans toutes les stratégies de production de l’architecture française, le commis de l’état va privilégier la représentation de l’architecture et non celle-ci.
N’oublions pas comme contre exemple, le dernier grand bâtiment de classe internationale construit en France : le Centre Georges Pompidou. Déflagration esthétique, l’effet Beaubourg a produit débat public, affrontement familial, générationnel dans toutes les chaumières. J’étais bourguignon, d’une famille modeste, petite bourgeoisie de province. Beaubourg était un sujet de conversation d’un dîner sur deux. Et pourtant, nul commis de l’état, nul personnage de l’ombre, dans l’alcôve enfumée du pouvoir n’y était embusqué.
Juste avant la décision finale, validation du choix Rice/Piano/Rogers une hésitation du président monarque, une hésitation face au risque, face à l’erreur possible, une hésitation qui lui fait demander conseil à Jean Prouvé, lui, « le touche à tous », « l’artisan de génie », et au monarque de le suivre confiant, loin de l’interférence d’un quelconque commis.
Quel courage. Pourquoi ne pas l’avoir compris ?
JA : A vol d’oiseau de Beaubourg......
parlons du projet des Halles ?
R&Sie : ..... J’en ai assez dit
pour JN (Rires) Je ne pense pas qu’il puisse faire mieux, c’est à dire vendre
les Halles à la promotion privée, en y ajoutant une moumoute verte sur la tète
(rires).
Les Halles c’est d’abord
l’éclosion du syndicat de l’architecture et de JN pour une agit-prop,
l’organisation d’une contre proposition internationale au projet officiel sous
Giscard... Pour JN c’est l’histoire d’une vie, comme un cycle, naissance et mort
contingent, concomitant, le théâtre comme unité de lieu, d’action mais différé
dans le temps. J’espère qu’il ne s’agit pas d’une tragédie. Non, impossible,
nous avons à faire à des acteurs avertis, des tragédiens aguerris.
J’aimerais faire la proposition officielle
du classement des Halles au patrimoine national, de son architecture début
eighties, champignon bleu et trou inclus. La ville de Paris s’est tirée une
balle dans le pied. Je ne suis pas le premier à l’avoir dit. Les halles c’est
l’un des derniers quartiers de Paris ou la périphérie et le centre se
rencontrent. Toutes les générations, toutes les populations se croisent et se
lient. Lieux du croisement des flux, de l’enchevêtrement des gares RER et métro,
du déplacement sous terrains d’une population interlope, ce nœud de transport,
ce lieu accessible à tous n’est pas un espace contrôlable, il n’est pas un
espace panoptique dans la grande tradition de la ville neo-bourgoise. C’est pour
ces raisons qu’il doit être détruit, remodelé, hygiénisé, Guccisé.
Non … non, il faut définitivement classé cette architecture 80, avec sa laideur Piranésienne et ses champignons bleus (mais que signifie cet qualificatif de laid !). Ils renvoient aux esthétiques labellisés « villes nouvelles » et par la même nie le rapport de domination, entre le Paris Intra Muros et sa Banlieux. Appropriation culturelle, symbolique, drague, consommation de produit dopant, les halles on peut s’y cacher, s’y aimer, c’est pépé le moko et gégène à la fois, le dernier bastion d’un aménagement troglodytique, sans mode d’emploi, sans mode comportemental.
Pourquoi l’architecture des années 80
n’aurait elle pas plus de noblesse, que les palais de la République, qui n’en
ont pas ?
Les Halles, c’est autre chose, un lieu
polyphonique, au centre de Paris, un lieu accessible à tous. Intéressons nous
aux modes relationnels qu’elles abritent, ces halles, plutôt que d’en relooker
l’infrastructure existante, plutôt que d’en aliéner l’espace public à des
principes de surveillance, pour reprendre Foucault.
Mais avant toute intervention, opérons le pied de la Ville de Paris, la balle
s’est profondément logée dans l’articulation. Ca fait mal, très mal.
JA: En opposition à la porosité des Halles,
les vingt ans de “cénotaphes” de Mitterrand ne sont pas arriver à fabriquer
cette même porosité entre la ville et ses habitants.
R&Sie : Les Halles, ce sont des
aménagements populaires qui n’ont pas été dicté par un seul urbaniste, une seule
main, un démiurge urbaniste architecte. Et c’est paradoxalement leur intérêt. La
succession d’opérations se sont sédimentés les unes sur les autres, et ont crées
des interstices hasardeux, improbables (Subway, ou la femme Blanche de Ferreri).
Ce lieu ne s’est pas développé sur une stratégie de représentation, mais sur un
croisement de modes d’usages. Evidemment la génération des Baby Boomers veut le
détruire, c’est compréhensible et prévisible.
JA : La solution c’est d’aller construire
en Thaïlande ?
R&Sie : C’est de
survivre,
A partir du moment ou on a plus besoin de
la cooptation de la génération précédente, de parrainage, de s’inscrire au
Rotary Club pour construire à l’étranger, parce que les réseaux de
communication, de médiation passent et traversent les mailles du filet d’un
nationalisme bon teint. Là, on peut construire en Thaïlande. Le Net nous a
permis de toucher la personne, le client caché derrière la forêt, un mec au loin
qui vous regarde et vous appelle un jour sans autre intérêt que l’envie de
risquer une aventure.
On ne s’enorgueillit pas de travailler à
l’étranger. Il n’y a absolument aucune fascination, prétention, à se la jouer
architecte international, nous ne le sommes pas. Nos commandes viennent
simplement d’individus isolés, qui via les réseaux arrivent jusqu’à nous. C’est
un peu la petite entreprise au fond de « No Where ». On vent du fromage de
chèvre à des japonais parce qu’ils ont envie du goûter un truc qu’il n’ont pas,
qui pue drôlement fort (Rire). A la seule différence, c’est que ce truc qu’ils
n’ont pas nous aimons le faire pousser sur leurs propres terres avec leurs
ingrédients, sans l’importer ni l’exporter. Une attitude plutôt critique, ni
local/ni global, ou les deux à la fois.
C’est d’ailleurs tout l’enjeu de ces mots
largement labourés : global/local comment les éviter, les contourner ... parlons
de la monade de Leibniz. La monade de Leibniz est une chose qui est à la fois
insécable, comme une pierre de cathédrale gothique, à la fois la partie et le
tout. Et pourtant, bien qu’elle porte une dimension universelle, elle est
néanmoins émises d’une situation, elle est départementalisée, régionalisée,
localisée … c’est intéressant ce conflit, cette ambiguïté, cette confrontation,
cette corruption entre un idéal déterritorialisé et son émission, ancrée dans un
biotope particulier. La corruption d’un idéal, voilà ce qui nous poursuit.
Faire émerger les contradictions issues de la corruption d’un idéal. Platon qui
s’écrase salement sur Guyotat, et lui fait l’amour. Voilà le travail de
l’agence.
Il n’y a pas de revendication
phallique dans notre travail. Il serait plutôt comme une invagination, un trou
noir, un conte de Grimm, méchant pour les enfants, incompréhensible pour les
parents.
JA: Une
question personnelle, quand on parle de François Roche aux journalistes, ils ont
l’air terrorisé. Pourquoi ? Vous les travaillez, vous les secouez. C’est une
forme d’exigence de votre part ?
R&Sie : On est exigeant, je n’ai
d’amitiés durables qu’exigeantes [...] nombre de journalistes sont « embedded »,
embarqués dans le système. Cela procure des avantages certains mais peu
d’indépendance, cela les limite à un rôle de commentateurs, de paraphraseurs.
Au fait qui paye le billet du
charter des French’s journalistes à la Biennale de Pékin, aller et le retour
gratuit au pays de l’intox ?
JA : des noms....
R&Sie : Vous
le savez..... les journalistes politiques sont inféodés aux hommes politiques …
on peut se douter qu’il en va de même pour les critiques d’architecture d’autant
plus qu’ils sont le vecteur de leur représentation.
Posez vous la question comment JM Place a pu racheter sans s’endetter les deux seuls revues d’architecture en France, pour les anémier par la suite.
A contrario, je me souviens avoir été soufflé,
lors de ma première rencontre avec Frédéric
Migayrou, en 95/96. Il était le seul avec Marie Ange à s’intéresser aux projets,
aux engagements qui suintent des oeuvres, à leurs implications, à leurs liens, à
leurs chronologies, et non aux convulsions de leurs auteurs.
Tout deux ils reliaient et déliaient, ce que notre culture Beaux Arts avait emmêlée.
Comment en effet sortir d’un système qui ne véhicule qu’une pratique « sous influence », « à la manière de » si on ne porte pas attention aux œuvres elles-mêmes. L’enseignement de l’architecture est le principal promoteur de cette confusion. Il m’a fallu trois ans à la sortie de l’UP3 de Versailles pour se désintoxiquer, pour désapprendre, pour se dénuder, pour éviscérer la citation, la référence de la « forme en train de se faire ». Notre formation était directement conditionnée par un apprentissage sur le mode copisme, maladie du « reproductionisme », masqué sous des habiles habillages sociaux et politiques. On m’a préparé à devenir un bon professionnel, à la mode de chez nous, « sous influence », « sur modèle », « sur commande ». Bref de la misère en milieu étudiant à la misère en milieu professionnel…
Sur l’enseignement, voyez notre position,
j’enseigne depuis plusieurs années en Post-Graduate, en Espagne, Londres et
ailleurs. Nous donnerons en septembre pour un série de conférence au creux de la
zone de pouvoir anglo-saxonne, et parallèlement je viens de recevoir de la DAPA
un courrier sibyllin qui me disqualifie pour enseigner en France (voir
ci-dessous).
J’aime ce paradoxe…
Cette pratique double, labo de recherche et studio de production, je n’ai donc pas d’autre choix que de la mener à distance. Remettre en question le kidnapping des écoles d’architecture, c’est évidemment séduisant … mais ça ne peut se faire sans les étudiants eux-mêmes.
Pour revenir à votre question, après cette digression, on comprend mieux, alors, le rôle des critiques et journalistes. Que peuvent ils faire d’autre que de faire du bruit, des commentaires, de la musique … Rappelons nous le triptyque de Hieronimus Bosch, « le jardin des Délices », les chanteurs, les musiciens sont dans le volet droit. Leur fonction : égayer la damnation de l’enfer…
A ce titre, j’ai juste un message personnel en pensant à un certain Trétiack, un parmi tant d’autres, il me plait, sans arrières pensées évidemment, de relire encore et encore le passage de Slavaj Zizek :
« Quand
au fripon, c’est un cynique qui dit ouvertement la vérité, un escrocs qui tente
de faire passer l’aveu public de ses malhonnêtetés pour de l’honnêteté, un
vaurien qui reconnaît la nécessité de la répression illégitime afin de maintenir
la stabilité de l’ordre social.”
JA: Ce qui est étrange c’est qu’il n’y ait
qu’eux, et qu’ils arrivent à se maintenir ?
R&Sie : Cooptations... Cooptations, et cette
cooptation se nourrit de chairs fraîches, les albums en sont, ce sont des
vampires, film gore et snuf movies. De la chair fraîche, de la chair fraîche…
qu’on m’apporte de la chair fraîche…
JA : Vous n’avez pas envie de partir de
France ?
R&Sie : On est parti
...puis on est revenu, puis on est reparti ... puis on est revenu ...
JA: Pourquoi ?
R&Sie : Je vis dans Belleville, ou les unions inter-raciales sont légions.... Plus sérieusement, Claude Parent m’a raconté
qu’il aurait posé cette même question à Corbusier… Pourquoi la France ?
Il lui aurait répondu; « Parce que c’est
ici que c’est le plus difficile »
JA: Par défi ?
R&Sie
: Peut être par défi, on ne bataille
vraiment qu’avec sa propre culture, il nous faut l’affronter, c’est une
coquetterie de penser qu’il suffit de tourner autour du monde pour égrener des
conférences et projets, si cette position ne permet pas d’agir dans le pays qui
vous a vu naître. Intellectuel architecte, cela n’a aucun sens, la confrontation
on ne peut y échapper, autant le faire, en Afrique du Sud en 93...
Aujourd’hui sur le sol de notre monarchie républicaine.
JA : pourquoi l’Afrique du Sud ?
R&Sie
: ...On y était appelé pour faire un
projet en 96. En 94 Mandela prend le pouvoir, fin de l’apartheid, mouvements
sociaux, fascination, je n’ai pas vécu Berlin, mais l’instabilité des mouvements
sociaux, et leur transformation en temps réel est un moment qui reconditionne le
partage de l’espace public. Des lieux d’aliénations, de ségrégations se
métamorphosent en l’espace d’une journée, comme un principe thermodynamique,
d’écoulement, de fluidification, d’entropie. La “ville blanche” a été
cannibalisée par les populations des townships, le down town était devenu un
squat à tous les étages, rien de prévisible ni de planifié, seule une énergie de
flux.... difficile de parler de l’Afrique du Sud en omettant l’état de violence
qui y sévit, mais pas la violence attendue, celle qui aurait pu se légitimer
comme un règlement de compte. Nous sommes appelés pour faire un projet à Soweto,
en plein milieu du township, étrange, dangereux et fascinant. Nous découvrions à
l’époque les computers et leur capacité procédurale, cinématique. Les machines
n’étaient pas tant des outils de représentation, pour faire tourner au journal
de 20 heures le stade de France en 3D, mais
plutôt des outils d’expérimentation, de perte de contrôle, d’hybridation et de
pliage comme ce projet de Soweto.
JA : Des voies déjà ouvertes ?
R&Sie
: Comme je le disais, peut on tracer une
voie qui ne soit ni celle du Bouffon, ni du fripon ?
JA : Quelques noms aujourd’hui
d’architectes ?
R&Sie : Non, pas de
nom d’architectes.
JA: Non... je voulais que vous me citiez
les gens dont le travail est intéressant, selon vous, à suivre, des références...des
oeuvres.
R&Sie
: “Brown Bunny” de Vincent Gallo, une
oeuvre qui m’a réellement intrigué, et qui remet en question la nature du
cinéma. Plus important “Charisma” de Kurosawa.... Slavaj Zizek, dont on
parlait... Les cours de Deleuze que je n’avais jamais entendus, sur la notion du
baroque, sur Leibniz, sur la notion du mouvement en train de se faire, le
magnifique discours sur l’instabilité des choses, et l’inquiétude du mouvement
en train de se faire.
Je reviens rapidement sur le “Charisma” de
Kurosawa, c’est l’histoire d’un arbre qui surgit dans une forêt, un arbre
antédiluvien, un arbre qui vient de l’époque des dinosaures, il arrive là on ne
sait pas comment, on ne sait pourquoi mais il arrive là. Cet arbre va
immédiatement légitimer qu’on le protège, qu’on le surprotège. Les villageois
vont s’étonner progressivement que la forêt meure à son contact, on découvre que
l’arbre émet des toxines, qu’il est toxique, que la mort s’infiltrent dans le
substrat du sol, et éradiquent progressivement la forêt. Il pose la simple
question, de la nature de l’écologie. Faut il protéger la toxicité au prix de
détruire l’écologie du XIXe siècle, celle qui produit une économie forestière ?
Ce film se finit avec le plan d’un jet de lance flamme, l’autodafé de cet arbre
coupable. C’est de cette liberté toxique dont nous aimerions nous constituer.
Paris / Rue de Belleville
Propos recueillis le mardi 3 août 2004 /
15h