Collection "Les architectures hérétiques", Interview Parent / Sarmadi. Preface de FR / avril 2002
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Spot de Parlementia, Guetary, 15 avril 2002.
Le swell ce matin est puissant, 4 mètres au large, vent off-shore, conditions parfaites.
La mise à l’eau dans l’odeur du néoprène m’éloigne de l’architecture et de ces miasmes naphtalinées.
Oublions un temps les savantes manipulations des uns, la prétention des autres, la gabegie inutile de nos institutions, le carriérisme hétéro-blanc, la bêtise et la vulgarité, l’exception culturelle comme fond de commerce témoin de notre propre égocentrisme. Ils sont légions les criminels qui portent la morale en guise de fausse barbe. Mais la vague est là et n’attend pas.
Trois cents mètres à parcourir dans l’eau glacée, sans réfléchir, pour atteindre cette onde orgueilleuse.
Affronter ce mur liquide, topologiquement parfait, à la lumière du matin, c’est y puiser l’énergie qu’elle ne cesse de vouloir transmettre. Une pure énergie dans laquelle il faut se jeter pour mieux s’en extraire, sans vouloir la dominer.
Le geste du take-off, à 4 mètres dans le vide, plongeant dans une machine à laver cyclopéenne, avec un bout de polystyrène au pied, et la trouille au ventre.
Les stimulis sont multiples, la synesthésie gagne votre cortex, enveloppé d’eau, dans cette oblique fluide. Une dernière hésitation retient le geste, par lâcheté ou peur.
La vague n’est pas une icône statique mais un processus d’échange, un transfert de flux, un mode relationnel. La dynamique des fluides, la turbulence, la temporalité en sont les composantes.
Entre deux séries, l’attente dans le froid. Il faut bien se lancer…
" Qu’importe qui parle, quelqu’un a dit qu’importe qui parle " (1) nous dit Beckett. Qu’importe la notion d’auteur.
Et c’est bien ce qui nous questionne dans la production Klein-Parent et leur architecture de l’immatérialité. Ce n’est pas tant cette absence qui gène le consommateur que l’absence d’auteur identifiable, d’auteur présumé à qui il faudrait payer tribu pour se la " récupérer ", se l’approprier… mais le narrateur est " flou ".
Qu’Yves Klein l’ait réalisé seul ce projet d’architecture immatérielle importe peu, le texte de Parent, paru en 58, en (d)écrit le scénario au point d’y être indissociablement lié, et par la même à faire naître le trouble.
Car la notion d’auteur est bien ce qui nous occupe. Est-elle réductible à l’œuvre, à la posture de son producteur, aux bénéfices qu’elle lui procure, au copyright, à la résistance dont il ferait preuve, aux citations qu’il manipule, aux remix, aux buzz sur Paris Première…
Que l’on invoque la disparition de la notion d’auteur pour mieux justifier et favoriser de la circulation des denrées culturelles me semble plausible.
Lyotard nous aide a en saisir les mécanismes :
" Le capitalisme est a peu près indifférent aux contenus des récits dont il autorise la circulation. Le récit monnaie est son récit canonique parce qu’il rassemble les deux propriétés : il raconte qu’on peut raconter n’importe quoi, mais que le bénéfice des récits doit revenir à leur auteur " (2)
Bien de difractée, démultipliée, du Elle Magazine au Wall Paper Design, cette notion d’auteur n’a jamais été aussi présente et " répliquante " que depuis que le créateur drapé dans son isolement chamanique (l’étoile de Duchamp) s’est mué en créatif postmoderne (Nouvel). Les récits et les narrations sont devenus interchangeables, reproductibles et autophages. L’auteur n’intervient plus en guide spirituel mais en amplificateur d’un écho qu’il n’a pas à émettre et qui ne lui appartient pas. C’est la même la condition de la consommation culturelle comme composante du système libéral. (voir copier coller sur Battery House project)
Et je me jette dans l’univers glacé et translucide, bleuâtre et fantomatique, d’une masse ondulatoire issue d’une dépression Islandaise. Cela glisse, vite, l’improvisation et le plaisir sont contingents à l’instinct de conservation. Un paradoxe.
La dynamique des fluides n’est pas sans analogie avec celle du réseau.
Les modes d’échanges, liés à l’économie globale, bien que suspects sur bien des points, nous autorisent depuis peu des échappées solitaires hors des cooptations de nos pères censeurs. Il n’en était pas de même pour ces Grands-Pères héroïques, ces Don Quichotte un peu naïfs, les Schein, Parent, Rottier, Antilovag… qui ont pu tenir tête face à la bêtise du système. Les petits fonctionnaires de la culture y grouillaient déjà, assoiffée de pouvoir et de suffisance.
Inutile aujourd’hui de cirer les pompes (les périphériques pour prendre un exemple) à tout un milieu en s’autoproclamant. Les propriétés labyrinthiques et la logique protéiforme du système permettent à contrario de lancer un " Fuck You " justifié (Le concours bidon de la Fondation Pinault en est encore la preuve) à un ex-directeur de l’architecture, sans manger pendant 20 ans les restes putrides qu’il vous laisserait bien volontiers en guise de vengeance froide.
Il n’y a pas d’héroïsme aujourd’hui à se confronter aux stratégies de la médiocrité, c’est simplement un outil de travail, un label de plus.
Trop tard ! L’onde est passé sous le board. J’emprunterais la série suivante… comme le taxi du retour à la terre ferme.
L’architecture serait donc un acte de position et de production, en simultanée, si l’on en croit la trace laissée par Claude Parent. A la fois Bouffon du roi et son garde fou… dans une inextricable dualité, une schizo-attitude.
C’est là sa beauté, sa fragilité.
La f(r)iction avec le réel nous garanti un rapport critique, distant des instruments de pouvoir avec lesquels pourtant il faut œuvrer.
Ceux qui tentent encore de l’associer au devenir des masses, à leur émancipation et à un quelconque activisme sur la macrostructure finissent toujours dans la poubelle de l’académisme. On le sait aujourd’hui.
Une posture donc -ce qui suit le prouve- comme le paradoxe de notre condition. Dans un univers post-libéral qui ne véhicule les idées et l’œuvre qu’à la condition qu’elles ne soient pas " originale ", leur attribuant par là même une valeur monnayable : comment en négocier l’économie, et en a t-elle ?
Face à la logique du copyright, cette notion d’auteur peut passer pour un succédanée romantique à reléguer aux oubliettes de l’histoire.
C’est au contraire sa seule dimension opérante, politique.
" Là ou ça sent la m... ça sent l'être " (
3), nous répond Artaud. Texte lu par Claude Parent un certain jour à la radio nationale…
FR
1 Qu’est qu’un auteur ? Conférence de Foucault, " Dits et Ecrits ", 1969, édition Gallimard
2 Jean-François Lyotard, " Instructions Païennes ", édition Galilée
3 A. Artaud , " Pour en Finir avec le Jugement de Dieu, Edition Gallimard