Interview en decembre 2003, dans le Journal des arts, postdatée en 2025
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Chroniques fictionnelles
1) Shigeru Ban, associé
à Jean de Gastines et Philip Gumuchdjian a été choisi
pour construire l'antenne du Centre Pompidou à Metz. Que pensez-vous de ce
choix ?
Shigeru Ban, oui, en 2003 je crois, oui je me souviens du projet, du moins du montage du projet. C’était l’époque ou les jury n’étaient que la partie visible et faussement démocratique des alcôves enfumées du pouvoir, ou les concours d’architecture n’étaient que la face prévisible, drapée de fausse transparence républicaine, de vieilles recettes Franco Française pour accoucher de projet du président ; derniers cénotaphes, cadavre exquis à la gloire du drapeau, projet de fin du monde, de la fin du néolibéralisme.
Nul n’avait compris à cette époque que la magie du Centre Pompidou tenait en la dilution de ses auteurs tricéphales (Piano / Rice / Rogers). Une dilution qui, de plus, s’était chargé de réaliser le projet d’un autre architecte, radical celui-là : Cédric Price et son Fun Palace.
Piano et sa bande de bad boy, avait mis 4 ans à construire une utopie relationnelle daté de 1964, en la faisant leur.
En acceptant ce rôle de passeur, afin de désincarcérer le rêve de sa gangue irréel, il avait démystifier le rôle de l’architecte, de l’auteur, de son génie, de sa solitude…pour le rendre fluide, trouble, c’est là leur grandeur, voir leur effacement face à l’histoire.[1]
Le concours de son extension avait été monté dans l’ignorance de cette genèse, et la consultation lancée à la manière d’un satellite « Guggenheim » : le bénéfice devait principalement revenir à ceux qui le commanditaient et le payaient et l’auteur n’en était que le vecteur, otage.
C’était nier, renier « l’effet Beaubourg » comme expérience publique, comme le pavé dans le champ du conservatisme, comme le risque expérimental débattu dans toute les chaumières.
Heureusement en 2005, Shigeru Ban qui n’y était pour pas grand chose, s’était habilement retiré, laissant les vielles perruques se déchirer entre elles, avant d’être enfin dépossédées du projet.
L’histoire contemporaine s’est chargé par la suite de reprogrammer un projet qui portait à la fois l’ambition de Prouvé et de Pompidou ; une chose mutante plutôt qu’un bâtiment, aux contours improbables et organiques, une chose à l’image de notre environnement, dépressif, informelle et voluptueux.
L’auteur était à nouveau un collectif, plus à même de re-scénariser la position politique, géographique et relationnel d’un centre d’art.
A partir de là, la culture architecturale s’était définitivement débarrassée des oripeaux de sa représentation monarchique.
2) Vous participez à
l'exposition "Architecture non-standard" au Centre Georges
Pompidou où sont également invités Asymptote, dEcoi Architects, Greg Lynn
FORM, Kol/Mac Studio, NOX, Objectile, Oosterhuis.nl, Servo, UNstudio, DR_D
et Kovac Architecture. Dans quelle mesure votre travail est-il proche de ces
équipes? L'architecture peut-elle être aujourd'hui approchée par écoles ou
mouvements ?
Nombre de vos projets ont recours à l'outil informatique. Quelle influence
celui-ci a-t-il eu selon vous sur l'architecture contemporaine ?
Vous connaissez tous l’effet Migayrou. C’est aujourd’hui passé dans le langage populaire. « Non Standard » a été comme le virus de la « Jetée » ou de son remake « l’armée des douze singes ». L’effet contaminant est parti du Centre, en rayonnement concentrique. Du moins c’est ce que les bio-urbanistes affirment aujourd’hui.
La topologie, la perte de contrôle, les processus aléatoires, les outils de pliages, de distorsions géométriques s’étaient substitués à ceux issus de la perspective, de la standardisation, ou l’architecte n’était que l’assembleur de produit industriels, programmés et prédétermines.
Les architectes Français, enfin, s’étaient libérés de leur pathologie « Beaux Arts », de leur schizophrénie linguistique, du temps ou ils inventaient des belles histoires sur l’émancipation sociale, sur le développement durable, sur l’écologie de papier peint, pour masquer leur asservissement aux systèmes de production, aux procédures de cooptation, aux petits arrangements quotidiens.
L’effet Migayrou a pris quelques années avant de contaminer les modes de décisions. Au début quelques bâtiments ici et là, dans un registre mineur, comme la partie visible d’un iceberg qui rongeait les strates, les substrats de la ville. Personne n’y avait porté réellement attention. Mais le phénomène s’est amplifié en 2010, quand à la manière des Drop City version Buckminster Fuller, la société civile s’était emparée de cette nouvelle géométrie pour se libérer des carcans administratifs imposés par ceux qui péroraient et planifiaient.
La ville était redevenu ce qu’elle n’aurait jamais du cesser d’être, une arborescence complexe, un nœud topologique libéré de toute contraintes, une milieu ou les formes se développaient en fonction des désirs, des énergies individuelles et communautaires.
Ionel Schein et ses prémisses métabolistes en 60, malgré les 40 années d’hiver et de relégation avait fini par imprégner la réalité. Paris émergeait de sa nécrose muséale pour redevenir une ville qui palpitait, qui vivait.
Le contrat social n’est plus donner à priori, dans son hypocrisie universaliste et fouriériste mais à découvrir en temps réel, à produire en temps réel.
D’une société de mass worker contrôlable, nous étions passé à une société fractale, ambiguë, issue du mass media et de sa culture consumériste et individualiste, porteur d’une écosophie très Guattarienne.
D’une monarchie républicaine et libéral, ou le Dark Side était négocié par ceux qui « savaient » et qui simultanément avait accouché de la barbarie du Xxeme siècle, nous avions glissé vers une démocratie directe, ou l’individu, le citoyen était le vecteur conscient de la transformation de son biotope, de son environnement, en assumant les complexités et méandres de son être.
La ville était maintenant à la mesure du degré d’instabilité de la société, non sa représentation fossilisée. Elle en rendait visible les turbulences, les vibrations, les flux. Sa croissance ne se réalisait que négociée, et son ambition était directement issue des spasmes qui secouaient les équilibres humains, fragiles et incertains.
Nous en sommes là aujourd’hui, et l’effet Migayrou, bien qu’auréolé de mysticisme un peu enfantin, en fut l’un des premiers déclencheurs.
3)
Parmi vos constructions figure une collaboration avec Philippe Parreno.
Quelles sont selon-vous les modes de collaboration possible entre artistes
et architectes ?
Si nous produisions à l’époque à plusieurs, entre architectes et artistes, entre autres, c’était principalement pour « éviscérer » l’œuvre, le projet, de son « auteur » présumé, et « flouté » celui qui parle.
Cette notion d’auteur n’avait jamais été aussi « répliquant » que depuis que le créateur drapé dans son isolement charismatique s’était mué en créatif postmoderne, introduisant le recyclage permanent et récurrent des modèles, comme un Pong en accéléré. Les récits et les narrations étaient devenus interchangeables et reproductibles.
L’écho narratif, sorte d’amplification par modèle emprunté, transformait ainsi toute pensée contextuelle en un simple opportunisme citationnel.
Le revival de l’architecture internationale, déterritorialisée et cynique laissait entrevoir de belle année aux baby-boomers, du moins c’est ce qu’ils entrevoyaient en début de millénaire.
Il nous plaisait d’éviter d’emprunter ces paradigmes largement labourés et de requestionner cette notion d’auteur.
4) Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
« Do it yourself », au palais de Chaillot, en 2024. Une expo générique sur l’ensemble des nouvelles pratiques liées aux logements sociaux. Liberté de pousser les murs, de s’inventer bricoleur, de vivre l’inachèvement, version Favela innervée de toutes les connectiques. Le logement social est enfin sorti des mécanismes d’asservissement qui le contraignaient.
Mais prenons le temps d’en parler dans un prochain numéro…
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PS
L’avenir est inévitable, mais il peut ne pas avoir lieu. Dieu veille aux intervalles
J. L. Borges