Tribune ouverte paru dans Beaux Arts / 1998 sur les manipulations de F. Barré, alors directeur de l'architecture
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"Vous avez dit patrimoine !"
En 1996, la direction de l’Architecture revient dans le giron du ministère de la culture, après 15 ans de loyaux services au sein du ministère de l’Équipement. En 1998, elle s’adjoint le Patrimoine et accouche d’un Institut à la mesure de sa démesure : une "cité de l’Architecture et du Patrimoine", avec un budget de fonctionnement d’environ 100 MF par an ! Ce qui peut paraître anodin, une simple permutation de service, en racontent finalement beaucoup plus long sur l’état de l’architecture française que les nombreuses déclarations emphatiques des milieux autorisés à penser.
Un homme incarne ce billard à trois bandes : François Barré. Premièrement on extrait de l’Architecture la substance politique et territoriale pour en limiter la porté à de simples joutes culturelles, deuxièmement on la gave d’une nouvelle orientation qui relierait passé et modernité, patrimoine et création, servilité et domination, et j’en passe. Opposition binaire dont abusent les serviteurs de l’état, dont on connaît pertinemment l’escroquerie intellectuelle. Troisièmement et dernière bande, on réalise un machin pléthorique de communication/spectacle chargé d’assouvir le besoin de reconnaissance de l’architecte et de sa direction de tutelle. La troisième bande fut fatale. La précipitation des architectes à en être, n’a d’égal que leur perdition face aux enjeux de nos sociétés.
Entre les fausses pétitions dénonçant le machin, pour mieux s’y placer, les auto-proclamation de guide spirituel, et les manipulations d’enfants de chœur, François Barré, lui, œuvrait. Asservir une profession avec quelques Breloques en poche (Rosette et Poignées de main...) nous ramène à la grande époque, celle Pompeuse et Officielle ou les "professionnels de la profession " péroraient. Les grands commis de l’état ont besoin de thèmes reccurents, qui permettent de discourir, de " colloquer " et de plier le réel à des projections simplistes et savantes. C’est entre autre ce qui explique l’échec patent de nos villes. Car en France, et cela peut surprendre, on pense la ville, on la pense même tellement, qu’on la plante. On la pense comme un systematisme, avec des schématismes Colbertistes incompatibles avec des notions de complexité, de rhizomes, de processus. Ce n’est pas tant l’urbanisme des années 60 et la mauvaise qualité des architectures qui est a remettre en cause que notre incapacité à faire évoluer ces modèles que l’on a toujours considérés comme achevés. La mutation, le recyclage, le sampling, l’hybridation sont des attitudes perceptibles dans l’ensemble des sphères productives de la société. La prothèse contemporaine est faite de chair ou de derme artificiel recomposé. Le corps n’y est pas nié mais exacerbé, hypertrophié.
Mais là où celles-ci agissent et produisent par mutations successives, l’architecture contemporaine, elle, alterne périodes moralistes de " réhabilitation " et cycles progressistes de destruction, comme le miroir déformant de deux attitudes finalement semblables, et qui consistent à s’exclure du réel. Momifier, museïfier les centre urbains c’est accélérer les fragmentations, les dislocations : des attitudes qui isolent plus qu’elles ne rassemblent. Comment cette génération des barricades (68), aujourd’hui au pouvoir, peut-elle se renier en énoncant et en favorisant des mécanismes de la séparation, de la nécrose ?
La distorsion de la société est devenue tout autant géographique que social. Les conducteurs de bus, eux, le savent. Contrairement au patrimoine, qui hiérarchise, classe et fige, la géographie, elle, n’est ni morale, ni sentimentale, elle est simplement déjà là, et c’est sur ce corps vivant et complexe qu’il nous faudrait opérer.
Les technologies au service de ces mutations sont connues, elles permettent d’élaborer des scénarios, des processus qui réactivent la notion de localisme, et qui capitalise les lieux, les milieux comme atome d’un discours productif. C’est un euphémisme de dire qu’elles ne sont pas mises en œuvre dans la production et dans l’enseignement architectural en France.
On appelle cela, je crois, l’exception culturelle.
François ROCHE pour R, DSV & Sie . P, architectes
PS : Laissons le patrimoine au Secrétariat d’Etat au Tourisme afin qu’il en assume pleinement la dimension économique.